29.10.04

Il y a des matins comme ça ...

Place des Fêtes.
Mardi.
Il est sept heures.
Les marchands de fruits et légumes sont les premiers à installer leurs étals. Déjà des pyramides compliquées d’oranges et de pommes attendent d’être pillées, dans quelques heures, par des ménagères sans scrupule devant l’énergie demandée pour la construction de ces édifices.
Des grands-mères sont déjà dehors avec leurs cabots. La première sortie matinale, celle qui laisse des traces partout sur les trottoirs, qui viennent pourtant d’être balayés et rincés à grandes eaux. Ces traces qui vont immanquablement provoquer la colère des honnêtes gens, pas tout à fait réveillés, qui vont marcher dedans… Du pied gauche, bien sûr...

Maurice, le garçon de café, sort ses tables sur la terrasse. Les premiers clients ne vont pas tarder. Il entend déjà les rires gras du marchand de volailles avec son collègue boucher.
Il regarde le ciel. Il est bleu. Cela faisait longtemps que cela n’était pas arrivé. Sale temps pourri d’automne. Cela lui donne du baume au cœur. La dernière belle journée de l’année? Qui sait? Autant en profiter, on ne sait jamais...

Le boulanger ouvre tranquillement son rideau de devanture. Cela faisait déjà un petit bout de temps que des odeurs alléchantes sortaient de son atelier. Maurice va bientôt pouvoir aller chercher les croissants encore chauds. Un vrai plaisir.

Un chat traverse la place en courrant, ventre à terre. Tous les chiens de la place l’ont évidemment vus et aboient de toute leur force. Bientôt les bonnes femmes, qui ne s’entendent plus parler, vont gueuler plus fort que leur clebs pour les faire taire :

- Chipoune tu vas te taire, oui ? Hurle l’une d’elle. Et vous avez vu, Madame Truc, comment il était bien habillé le Nikos de la Star Ac’. Ah ! Moi j’l’avoue j’ai un faible pour lui. Il sait si bien parler aux gens…
- Vous avez raison, Madame Machin, c’est un bel homme ! Répond Mme Truc avant de crier à son tour : Mais tu va la fermer ta grande gueule, sale clébard !

La grande classe toutes ses femmes pas encore maquillées qui viennent de sauter du lit dans leurs joggings jaune, saumon ou vert pale pour aller faire pisser le chien. Elles sont si féminines parfois…


- Putain ! Fais chier !

Ca c’est le premier mec qui vient de marcher sur un étron canin. Il n’est pas réveillé. Il est très en retard. Il n’a pas eu le temps de se raser, de se doucher et il a dû boire une tasse de café qu’il n’a pas eu le temps de réchauffer au micro-onde. Il est de très méchante humeur.
Ce mec, c’est moi.

Je m’appelle Alexandre. J’ai 31 ans. Et là, je suis très à la bourre.


Je lance un salut rapide à Maurice en lui disant « à ce soir » et je n’entends même pas sa réponse. Comme d’habitude !
J’insulte, au passage, deux boudins sur quatre pattes et les deux boudins sur deux pattes qui les tiennent. J’entends, en retour, des cris perçants comme quoi la jeunesse est pervertie et qu’il n’y a plus de respect... Ma bonne dame.
J’ai envie de leur crier que le respect commencerait peut-être si elles se décidaient à ramasser la merde de leurs chiens… Mais je n’ai pas le temps.

Je passe au pas de charge à côté du banc de Karim. Je l’aime bien Karim parce que chaque matin de marché il me jette un fruit avec un « bonne journée ».
Ce matin, il me lance une pomme golden et un « bonne journée ». Je lui fais merci de la main.

Je m’engouffre dans la bouche du métro. Violents relents de bouche de métro.
Tiens donc l’escalator est encore en panne ! Est-ce que je tente l’autre entrée parce que je ne me sens pas trop capable de descendre toutes ces marches ? Ok ! Je tente. Mais je sens que je vais le regretter.

Je le regrette. L’autre escalator est aussi en position arrêt. Je bouillonne de rage.

Je m’enfonce dans l’antre de la terre, marches par marches, avec des gens zombifiés dans le même état de colère que moi. Je me dis que l’entrée des Enfers doit ressembler à cette station de la place des Fêtes. Elle avale à un rythme impressionnant toutes ces pauvres âmes en peine, le matin et les rejette, le soir, encore plus léssivées et décharnées.

J’arrive enfin aux guichets. Si je vois que la ligne 11 est en grève, je tue quelqu’un sur-le-champ. Peu importe qui : le pauvre type qui est à côté de moi, un agent de la RATP, le balayeur… Peu importe qui !
Mais non. La ligne fonctionne normalement. Tant mieux, je commençais à me dire que ma journée ressemblait à une mauvaise caricature de la journée de merde type du parisien moyen. Au moins, j’échappe à cela.
C'est toujours cela de gagner...

1 commentaire:

David a dit…

Hehe. Très belle description. Avoir un si mauvais début de journée mais malgré prendre le temps de remarquer tous ces détails est assez impressionnant.

Sinon je suis d'accord avec tes paroles sur ces clebbards. La vie dans la rue serait beaucoup plus agréable avec une population de maitre de chiens plus respectueux. Hélas. Ca ne semble pas prête de changer.

PS. J'espère que le reste de la journée s'est bien passé. :-)