2.2.05

Scène de ville.

Dans cette grande ville où tout le monde erre anonyme malgrés l'entassement et l'enchevêtrement des âmes vives, nous marchons seuls dans notre monde coupés de la réalité de son voisin de devant ou de derrière ou même d'à côté. Personne n'existe en dehors de notre petite bulle. Notre seule angoisse étant de ne pas empiéter sur la bulle de son voisin, en évitant de lui marcher sur les pieds ou de le bousculer. Pas un signe, pas un sourire, pas un geste de connivence. Trop peur de dépareiller des autres.
A mon arrivée à Paris, ce fut l'une des choses qui m'a le plus marqué. Toute cette froideur des passants; cette façon de ne pas exister pour les autres. J'arrivais d'une petite ville où tout le monde se connaissait plus ou moins. Tout le monde était une connaissance d'une connaissance. On partageait un sourire, un signe de la main, un rapide bonjour. Des gestes de civilité basique.
Et puis, je me suis fondu dans la masse, bon gré mal gré, me rendant compte qu'un regard souriant (à la Mona Lisa, vous voyez) ou même un sourire de la commissure des lèvres provoquaient systématiquement une gène chez le passant. Ca semblait déplacé (sauf dans certains quartiers de la capitale). Je me suis donc habitué à cette indifférence, vivant ma vie de passant dans ma petite bulle à moi.
Aujourd'hui, en sortant du métro, à Issy, je suivais une jeune fille quidam que je n'avais pas remarqué outre mesure dans les escaliers de la sortie.
Soudain, elle s'arrête brusquement sans crier gare. N'ayant pas entrer dans mon cerveau l'éventualité de cet arrêt inopportun, j'ai bien failli lui rentrer dedans... Comment? On veut empiéter sur mon espace bullaire? La jeune fille semble comme tétanisée et ne bouge plus, m'obligeant à faire un écart pour continuer ma route. En haut de l'escalier, une autre jeune fille est dans le même état que la première et semble extrèmement troublée, au bord des larmes même. Un virus paralysant aurait-il touché ces deux filles? La jeune fille de l'escalier me dépasse en courant et se jette dans les bras de la seconde avec des petits cris qui oscillent vers l'aigu; comme des cris de joie légèrement voilés par des larmes. Je me retourne quelque peu interloqué : elles pleurent dans les bras l'une de l'autre en parlant très vite avec des mots étouffés par l'émotion et par leurs épaules réciproques.
J'ai supposé qu'il s'agissait de retrouvailles impromptues et inespérées. Mon imagination s'est aussitôt emballée pour apporter une explication à cette scène émouvante et tellement inhabituelle. Je les ai imaginé, deux soeurs séparés à l'âge de la petite enfance, qui ne s'étaient pas revues depuis presque 15 ans et qui, par hasard, se retrouvent à une sortie de métro. Ou bien deux amies qui pour une sombre histoire de garçon volé s'étaient fâchées à vie mais qui devant la soudaineté de cette rencontre, se jettent dans les bras pour se pardonner tous les maux et le passé, de toute façon se garçon ayant quitté la vie de l'une et de l'autre.
J'ai imaginé des jolies choses comme il n'en arrive qu'au cinéma. D'ailleurs, cette scène à laquelle j'ai assisté, en y repensant bien, était très cinématographique.
Une scène à laquelle j'ai participé; témoin d'un moment intense rare, avec presque l'envie de participer au bonheur que ces jeunes filles partageaient.

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