22.7.05

Pérégrination normande d'un Parisien trentenaire - Episode 2

Previously : Alexandre a maintenant 30 ans et quelques jours (chut ! La maison ne tolère aucune remarque). Après trois semaines d'immersion totale dans les couloirs du métro parisien surchauffés, sans voir le moindre pis de vache, sans sentir les effluves aromatiques d'un champs de pissenlits et de chardons, sans ressentir les effets apaisants du gel douche vanille-pomme-coco sur sa peau délicate, Alexandre a décidé de passer un peu de bon temps en Normandie. Dans le dernier épisode, le voyage avait été long et laborieux, cahotique et chocapic. Mais au terme de cet exode romanesque, au bout du quai de gare, deux jeunes filles tout aussi romanesques et un carrosse roverisé l'attendent pour le mener vers une vie parfaite.
Avertissement : Tous les éléments qui vont être racontés sont vrais. Malgrés tous ces évènements, tous les personnages, toutes les situations ne sont pas fictifs.
C'est ça la vraie vie.
Thievery Corporation distille ses douces mélodies indiénisantes dans la voiture : humm ! Ca promet de bonnes choses pour ce week-end. Une statue du Général trone au centre d'un rond point; à ma gauche, les deux flêches d'une cathédrale élancées vers le ciel bleu et limpide; un garage Renault sur la droite; pas de doute possible : nous sommes à Bayeux. C'est bien certain cette fois; les preuves sont devant moi.
Je me laisse bercer par la voix de Laurence qui énumère les différentes possibilités de visites pour le week-end. Ca me laisse rêveur. Cependant, une autre envie me titille les sens : revoir David et Elvire.
10 petits kilomètres et hop nous voila tous attablés sur la grande terrasse à boire du champagne rosé face aux derniers feux du soleil rouge, entourés par une horde de gosses en velos, trottinettes, tracteurs, voitures de course, de pompiers, soucoupes volantes et j'en passe... L'imagination des enfants parfois !
"Ca devrait être ça la vraie vie". La formule à l'emporte pièce est lâchée avec un grand soupir de bien-être. Il fait nuit noire, nous sommes 4 parisiens trentenaires installés autour d'une table ronde, dans le jardin, seulement éclairés par de petites bougies disposées un peu partout autour de nous. Moment privilégié à goûter la fraîcheur et de même avoir un peu froid et de frissoner; a entendre le chant strident des hirondelles volants haut dans le ciel, annonçant ainsi une journée ensoleillée pour le lendemain; voir le vol silencieux des premiers oiseaux de la nuit. Et puis soudain le calme, le silence, la quiétude, le frisson du vent menu dans les feuilles des arbres fruitiers qui se dessinent en ombre chinoise, le chant plaintif d'une chouette dans le lointain. La vie s'est endormie paisiblement, tranquillement, sous le regard attentif d'une demie lune. Le foison du jour s'est effacé devant la simplicité de cette nuit d'été. Nous même n'osons pas parler trop fort de peur de réveiller trop vite le soleil. Nous chuchotons notre petit quotidien, histoire de ne pas éveiller le sommeil léger des poules (parce qu'une poule réveillée en pleine nuit se transforme en chauve souris assoifée de sang humain de groupe O+, comme moi, c'est bien connu).
Un photophore accroché à une branche du pommier. Halo de lumière. Flamme souflée. Rideau tiré sur nos yeux fatigués.
Et si c'était ça, la vraie vie?
Tu as pensé aux piles?
Cui-cui...
Ouverture d'un oeil.
... Et autres gazouillis d'oiseaux.
Ouverture de l'autre oeil. E. est encore endormi. On dirait un petit putini; la tête posée sur l'oreiller. Il lui manquerait plus que les ailes et il le serait complètement.
Une petite agitation se fait entendre dans la cuisine.
On va petit déjeuner au soleil dans le jardin. Cette idée me réjouit. E. s'est réveillé. Allons nous restaurer.
La table ronde est dressée dans l'ombre d'un haut pommier; la nappe flotte au gré d'un souffle léger; le parasol veille, protecteur, contre les rayons déjà chauds du soleil. 4 bols posés; une corbeille de pain; un broc de café chaud; des verres d'oranges pressées. Ah la la ! On est bien.
Laurence a très envie de faire la visite d'une ancienne abbaye de la région. Connaissant la richesse architecturale de cette région, nous ne pouvons que faire les petits chiens de plage arrière de voiture et nous hochons tous de la tête.
Mais que fait-on lorsque nous passons un week-end au Manoir? Habitude ancestrale; pélerinage obligatoire : nous visitons la petite ville de Bayeux.
Cette fois-çi, on devra faire fissa. Le timing serré du week-end nous laisse seulement une à deux heures à cette visite sacrée. Le temps pour nous de nous ressourcer en huile d'olives de la petite boutique méditerranéenne; de visiter la riche Notre Dame de Bayeux; de flanner sur les bords de la petite rivière paresseuse et dans les rues de la vieille ville où les petits hôtels particuliers rivalisent en beauté simple. Deux Bobo parisiens déambulant dans cette petite ville qui semble devenir leur petit royaume. Le temps d'acheter une petite carte pour partager ce petit moment de bien être avec l'Ami et nous voilà déjà de retour dans le jardin pour un déjeuner arrosé et nous voilà déjà partis à la découverte de cette fameuse abbaye Sainte Marie(encore une) de Longues Sur Mer.
Je vais faire ici une petite pause dans le déroulement du récit; une sorte de flashback explicatif. Pour moi, partir en week-end est associé à la présence de mon appareil photo numérique. Je serais du genre à mitrailler tout, tout et tout et même si c'est n'importe quoi. M'en fous. C'est des souvenirs. Un week-end normal c'est une cinquantaine de photos, en moyenne. Un week-end en Normandie, c'est 200 photos assurées. Le Bessin est une belle région, riche et au passé glorieux. Le zoom de mon appareil fremit au mot Normandie. Fin du mode "pause". Retour à ce que je racontais.
Dans un écrin de verdure, un peu à l'écart du village, au bord d'une route, un long mur de pierre annonce une grande propriété. Rien n'indique clairement qu'il s'agit ici de l'ancienne abbaye Sainte Marie si ce n'est un porche majestueux en pierres. Sur le fronton, une statue d'un homme protégeant un enfant (5 photos). Une lourde portte de bois s'ouvre et devant nous les ruines de l'abbaye devenue propriété privée en 1792 (vendu comme bien national). Des ruines majestueuses (12 photos, rien que pour la voute du transept). Un corps de bâtiment devenu demeure de la famille(8 photos). Un rêve les yeux ouverts et l'objectif allumé. Il me faut immortaliser ce moment, ce lieu, tout...
... Et ce fut le début de mon malheur. Dans ce moment de presque jouissance intellectuelle et visuelle; dans un état de quasi transe avec petits nuages flotteurs et tout le tintouin; dans ce relent de bonheur oublié d'historien râté, mon appareil photo refuse de m'obéir. Il ne veut plus rien entendre. Il refuse de figer ces beautés architécturales. Monsieur a un coup de mou; Monsieur manque d'énergie; Monsieur n'a plus de piles. Ca lui arrive parfois. Il n'est pas très résistant. Mais un petit coup de lapin rose et il repart derechef. Mais sur ce coup là, je me sens blémir. Je reste sans bouger une bonne minute avant de bien réaliser qu'un grand malheur me touche de plein fouet : je n'ai pas pris de piles de rechange. J'ai failli hurler ma rage au visage d'ange plusieurs fois centanaires qui me sourit en haut du reste d'une colonne et que je cherchais à photographier. Ce petit sourire charmant se transforme en rictus moqueur. Je suis maudit et ce petit con en pierre se fout de ma poire. J'ai presque envie qu'il se casse la figure; qu'il se fracasse misérablement par terre. J'en veux à la terre entière : au pauvre E. qui me regarde incrédule mais sachant que dans ces moments là, il faut surtout me laisser bouillir tout seul; aux pauvres mademoiselles parce qu'elles m'ont emmené à cet endroit; j'en veux à la beauté de ce lieu. Je m'en veux terriblement.
Tous ceux qui me connaissent le savent : quand ça ne va pas, je me ferme. Je reste droit comme un piquet à me morfondre, à rager; à me detester. Je me ferme; je me pose des oeillères et pour ce moment là, je refuse de regarder quoi que ce soit du reste de la visite. Je ne peux pas. Cette beauté me devient insupportable. Je n'ai qu'une seule envie c'est de quitter la place au plus vite. Les petites attentions d'Astrid, le regard désolé d'E., les paroles de consolations de Laurence, rien n'y fait. Je me deteste vraiment dans ces moments là mais je ne parviens vraiment pas à me contrôler. J'ai envie d'être seul.
Nous sommes partis avec une promesse faite à moi-même que je reviendrais ici pour photographier, chaque pierre, chaque plante, chaque recoins de cette abbaye. Ca sera ma revanche. Je te vaincrais Abbaye Sainte Marie. Tu seras mienne. Tu nourriras le disque dur de mon ordinateur que tu le veuilles ou non. Je te vaincrais.
Nature et découverte.
Après cet épisode Duracel à avaler, et après avoir récupéré l'énergie sufisante pour faire revivre mon troisième oeil, le Bessin nous a offert sa Normandie. La beauté de se son glorieux passé (les églises du Bessin, la cathédrale de Bayeux, les petits châteaux et manoirs qui essaiment les paysages campagnards); de son douloureux passé (les plages du débarquement, le cimetierre allemand si stricte et si austère de La Cambe, les étendues ravagée de la Pointe du Hoc). Le Bessin côté campagne et ses odeurs chlorophilisées. Le Bessin côté mer et ses odeurs ionisées. Le Bessin gourmand; le Bessin charmant; le Bessin chatoyant.
C'est bon ces week-end au Manoir. Ca recharge les accus à bloc; prêt à attaquer le mode de vie parisien de front.
FIN

Aucun commentaire: