20.6.06

Démarchage

Tout le monde connait le démarchage téléphonique. Cette bonne voix mécanique et tellement artificielle, lisant un script pré-établi, pour vendre, sans conviction, une assurance, des fenêtres en PVC ou des options obsèques avec déduction d'impôt...
Tout le monde connait aussi, le démarchage à domicile. Une jolie personne très persuasive et insistante, qui cherche par tous les moyens à vous refourguer une adhésion à un club de livres ou un aspirateur magique...
Mais connaissez-vous les nouvelles cartes du démarcheur nouvelle génération? Non? Je m'en vais vous en conter une bien bonne...
Imaginer...
Un quidam. De bon matin qui vire déjà allégrement à presque midi. La chemise est blanche; les manches retroussées, le col ouvert jusqu'au deuxième bouton. Trois bracelets en bois au poignet droit; une mallette en vrai cuir de synthèse, noir, dans la main gauche. Il traîne des pieds dans la lourdeur d'un ciel chargé. L'orage retient encore son organe de Stentor fluet mais on le sent électrique. Dans cent pas, il sera chargé d'assister pendant huit heures. Le marcheur préfèrerait renouveler ses déambulations de vendredi au soleil. Oui mais la vie, méchante et sournoise, l'oblige à payer ses traites et donc à assister. En insistant. Il traîne donc la savate en tirant la lippe.
Une voiture. Petite, orange et crème, fraîchement baptisée près de Rouen. Cette voiture s'arrête à hauteur du marcheur désabusé. Le début d'un embobinage bien tramé.
La vitre s'ouvre. Un "scusi" timide et interrogateur, léger presque géné, mais qui attire cependant l'attention. Sur le rebord de la vitre, un bras, une main. Une main tenant une carte ou un plan routier. Quelqu'un de perdu. Le bon coeur et la gentillesse légendaire du marcheur (si si je vous assure ! Et non, pas comme...) sont les plus forts et il se rapproche de la voiture. Le piège vient de se refermer sur une proie freluquette et facile.
Attaché à la main, un homme à fiere allure; bien habillé; le cheveu mi long et coiffé en arrière avec une tonne de gel luisant et retenu par une énorme paire de lunettes DG. Il est Italien. Son accent et les quelques mots qu'il prononce ne font aucun doute (comme dirait l'intélligent Julien C. de TF1).
- Scusi? Do you speak italian?
- No ! Sorry...
- You look so italian... Ta carrure...
- ... (avec les yeux ronds).
Il me montre son plan. Je vois qu'il s'agit d'un plan de Paris. Ouh le Coco, s'il se croit à Paris, là, c'est qu'il s'est bien gourré. Il me montre un point sur la carte. Les Galleries Lafayette. Oh non !! Il ne va pas me demander de lui indiquer la route pour aller là bas. J'en suis foutuement incapable.
(Dans un accent italien qui me fait toujours autant chaviré, mais bref, laissons s'exprimer)
- Je suis représentant dans le prêt à porter. Je viens de Rrroma. Et je viens de sortir des Galleries, là. Mon boss m'a filé trop de marchandises et je suis bien embêté avec. Quand je t'ai vu, ta grandeur, ta carrure, j'ai pensé que je pouvais te faire un cadeau...
- ... (toujours des yeux ronds).
- Tu as quelques minutes, demande t-il en éteignant le moteur de sa voiture.
- Je vais travailler là...
- Mà ! Ca ne sera pas long.
Il sort un sac de sous le siège passager. A l'intérieur des vêtements.
Je sens mon radar interne allumer tous ses voyants d'alerte. Naturellement, je fais un pas en arrière. Il sort de son sac une veste en cuir léger qui fleurait bon le cuir neuf. Une veste jolie marron. Je sens mes yeux s'arrondirent mais aussi devenir comme hypnotisés devant cette belle pièce. Mais les voyants sont rouges et me secouent.
- Tu vois, comme elle est belle? Touche ! C'est du cuir le plus fin qui soit... Allez ! Touche ! Tu aimes?
- Je ne suis pas très branché cuir (véridique ! J'ai dit ça).
- Alors celle là peut-être...
Et il sort de son sac magique, une autre veste. En nubuck celle ci. De nouveau mes yeux qui bavent d'envie.
- Ah je vois que tu aimes... Tu sais combien ça vaut, ça dans le commerce?
- Heu... Je ne sais pas, 200-250 euros...
- 450 euros. Et moi je te le donne... Et puis celle là aussi...
Il sort deux autres vestes cuir (dont une magnifique en cuir noir légère et cintrée). Mais c'est vraiment un sac d'Ali Baba qu'il a là...
- Tu vois, toutes ces vestes je te les donne. Parce que tu es sympa et que je suis sûr qu'elles vont faire bien sur toi... Et puis moi comme ça je serais débarrassé...
Je reste interloqué. Elle est où l'embrouille là.
- Je te vois géné. Je peux comprendre. Moi je pourrais pas qu'on me donne comme ça. Ecoute, ce que je vais faire. Tu me payes une de ces vestes et les autres sont cadeaux. On va dire, tiens, celle là (celle en nubuck). Je te fais cette veste à 300 euros et je te donne les autres. Tu as plus de 1000 euros de marchandises là tout de même.
- Mais j'ai pas 300 euros...
- Ah... C'est une question de money...
- Ben oui ! J'ai déjà du mal à finir mon mois... Alors 300 euros...
- Mà ! Je comprends... Tu as combien d'argent sur toi?
- Ben 15 euros..
- Mà... Et tu peux retirer combien avec ta carte?
- Ben rien...
- Ah ! Je comprends.
Le visage, si souriant pourtant se ferme d'un coup. Le moteur est rallumé aussi vite que ça. Il me dit :
- Bah c'est dommage de passer à côté d'une affaire si belle... Ciao...
Et il est parti.
Le marcheur est resté un moment, vide, cherchant à comprendre ce qui venait de se passer là. Finalement, il arpenta les 76 pas qui le séparaient encore de son bureau.
Il traversa le passage piéton et remarqua à un angle de rue une petite voiture orange et crème, fraîchement baptisée près de Rouen, avec un jeune homme penché à la vitre. Une voix tonitruante et chaleureuse, avec un accent italien qui le fait toujours autant chaviré :
- Mà... You look so italian... Ta grandeur, ta carrure...

5 commentaires:

E. a dit…

J'espère que ce n'est pas le même avec les mêmes vestes mais il m'était arrivé exactement la même chose il y a... pfff... 12 ans !
"Mon patron m'a donné trop de marchandise, il me reste toutes ces vestes et si je repasse la frontière avec je vais me faire taxer..." J'avais été aussi très tenté mais n'avait pas cédé non plus !

Rafaele a dit…

Je viens de commencer à lire le post... je ne vais pas aller jusqu'au bout maintenant (d'où ce commentaire) ett voir si ce qui t'es arrivé coïncide avec ce qui m'est arrivé moi y'a 3 ans rue de Lourmel dans le 15e... je parie que oui !

Rafaele a dit…

Bingo !!! Apparemment la combine fonctionne toujours ! Dans mon cas la discussion a été plus courte ; il suffisait de sortir le mot de passe magique : étudiant (chomâge doit fonctionner). Le compliment "you look italian" m'avait plû aussi. Il m'a moins plû quand j'ai vu qu'à peine 100 m plus loin le même arnaqueur s'arrêtait et lançait à un autre garçon : Hello ! Are you italian ?

Eric a dit…

je réctifie donc ! Il ne s'agit pas d'une nouvelle carte de démarcheur nouvelle génération...

Andrea a dit…

Pourtant Alexandre...you look so italian! ;-)

PS: probablement il ete de Napoli, pas de Rome, et probablement les lunettes n'ete pas vraiment D&G....