Il y a dix ans, je faisais les cent pas dans un couloir de fort du Mont Valérien, à coté de la cabine téléphonique que je trustais depuis une bonne demie heure. Toutes les deux minutes, je décrochais le combiné, composais le numéro de sa chambre et raccrochais après deux minutes de sonneries dans le vide. Enfin, à 22h00, juste avant l'extinction des lumières, j'ai entendu sa voix fatiguée me dire que ça y était, j'étais tonton pour la première fois et parrain par la même occasion; qu'elle s'appelait Morganne; qu'elle faisait 3,1 kilos et qu'elle était en pleine forme. Je me souviens parfaitement avoir raccroché le téléphone et je pleurais comme une madeleine (de joie et de tristesse d'être aussi loin d'eux à ce moment précis). Je me souviens avoir dit comme ça, à brule pourpoint que j'étais tonton à la chambrée qui, en rigolant, me lançait que ce n'était pas grave et qu'on n'en mourrait pas; ce qui m'a fait rire, avec des sanglots dans la voix...
Il y a dix ans, je quittais pour la première fois le cocon familial pour aller apprendre à jouer gentiment au soldat sur les hauteurs du Mont Valérien. Le début de la fin. La fin d'une époque. Le grand changement allait s'opérer.
Il y a dix ans, j'étais un garçon idéaliste, aux rêves comme des réalités, un peu niais, crédule et gentil avec tout le monde. Maladivement timide et sous la botte de tous ceux qui avaient un minimum d'autorité. Je finissais mon année de maîtrise que j'avais présenté avec un certain succès. Pour moi, la voie était toute tracée : un cursus universitaire béton et une carrière de recherches irréprochable; tout ce que j'attendais depuis que j'avais 15 ans. Une vision de la vie édulcorée par le manque d'accrocs, surprotégé par les yeux maternels. Un certain confort de vie douillet qui me convenait parfaitement bien à cette époque là. Pourtant, quelque chose s'opérait, vagues sentiments que je n'arrivais pas encore à saisir et à appréhender.
Il y a dix ans, si on m'avait demandé comment je voyais mon futur, j'aurais répondu sans hésitations : avec femme et enfants, dans une maison, dans la région du Mans. C'est normal non? J'aurais répondu cela sans mensonge. Il y avait pourtant ces troubles nouveaux qui s'éveillaient en moi. Je les refoulais et me les cachais inconsciemment. Des corps fantasmés, la nuit. Des nuits agitées face à des démons intérieurs. Des censures que je m'imposais pour éviter d'avoir à faire face à ces nouveaux tentateurs : la fin de mes années de tennis, le renfermement sur moi même. Des saloperies que j'ai pu faire subir à toi mon amie. Le mal être d'un état incertain.
Le départ pour mon service national aura tout précipité. La promiscuité masculine à chaque instant. La nouveauté de se retrouver dans un endroit où personne ne se connait. Tout ces moments là auront été les révélateurs. Il y a dix ans, je me découvrais garçon pas comme les autres ©, sans pour autant me lâcher totalement et librement. Trop d'attaches et trop de poids du passé sur les épaules. Mais le procéssus était en route.
Dix ans après, il me semble loin ce garçon là. Il a complètement disparu. Un nouvel homme est né de cette gestation. Il est devenu libre, heureux, plus fort. Encore timide mais beaucoup moins renfermé. Il est devenu parisien, assumément Bo-Bo, assurément citadin, légèrement hautain sur certains points (ma province et tout ceux qui ont traversé ma vie maléfiquement...). Mais certainement heureux et plus fort, libre et détaché. Carrément amoureux de ma nouvelle vie et parfaitement garçon pas comme les autres ©.
Il y a dix ans, une petite fille naissait. Il y a dix ans, un nouvel adulte commencait aussi sa renaissance. Dix ans en plus. Dix kilos de plus. Des rides en plus au coin des yeux mais incontestablement mieux dans sa peau.
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