6.3.07

Flottement romanesque

"Il enfonça la lame brillante dans la chair enflée, incisa vers le bas. Rien de l'avait préparé à cette sensation (...). La chaire de Kennit était vive , elle était tendre, fiévreuse, elle cédait sous le fil affûté de la lame et se refermait aussitôt."*
Mon estomac non plus n'était pas préparé, visiblement. Il gargouille d'une drôle de façon qui ne me dit rien de bien.
"Il dut saisir la jambe sous l'endroit où il incisait. Ses doigts s'enfonçaient beaucoup trop facilement dans la chair brûlante. Il s'efforçait d'agir vite. Sous le scalpel, les muscles se contractaient, se retractaient. Le sang jaillissait à flot continu d'un rouge pourpre. En quelques secondes, le manche du couteau fut poisseux et glissant (...). Il entrevoyait les cordons tendineux d'un blanc nacré qui disparaissaient à mesure qu'il les sectionnait."*
Je me sens nauséeux. Non, mais quoi ! Je ne suis pas une chochotte, tout de même. Ce n'est pas ce que je suis en train de lire qui me met dans cet état. La description de cette amputation est certes détaillée mais ce n'est pas non plus Hannibal Lecter ou l'autopsie du Dalhia Noir.
"Le coeur au bord des lèvres, il contempla son oeuvre. Il ne s'agissait pas d'un quartier de viande bien coupé, comme un rôti de fête, mais de chair vive. Dégagés de leurs attaches, les muscles en paquets se relâchaient et se contractaient par intermittence. L'os luisait et semblait l'accuser. Partout, le sang s'étalait. Il sut, avec une certitude absolue, qu'il avait tué son patient."*
Je ne peux pas aller plus loin. J'en suis incapable. Je ferme les yeux et essaye de retenir aussi mon coeur qui essaye de s'échapper par mes lèvres. Mon environnement sonore devient de plus en plus cotonneuse. Mon vieux copain, le voile blanc, décide de refaire surface devant mes yeux. Oh non ! Je vais m'évanouir. Je suis dans le métro. Je suis à peine au début de mon trajet de retour à la maison. Il est plus de 22h00. Une forte poussée de chaleur. Ma vue qui se brouille. Il faut que je respire pour que je garde la maîtrise de mon corps. Resté imperturbable et ne pas céder à la panique. Je pense que je donne assez bien le change face aux autres passagers mais, intérieurement, je n'en mène pas large. Toute traces de chaleur a décidé de quitter mon corps. Je suis tout froid, couvert de cette sueur froide désagréable qui me couvre le visage et le dos. Je sens chacune des goutelettes froide qui coulent sur ma peau que je devine livide. Montparnasse. Il va falloir que je me lève pour changer de ligne. J'ai l'impression que mes jambes ne porteront pas. Je me sens bête de devoir m'écrouler devant tous ces gens. Respire un bon coup. Prends sur toi, me dis-je. Allez sois fort. Je me lève et je flageolle un peu. Mais je ne tombe pas. C'est déjà ça. Je décide de ne pas écouter mon corps. Penser à autre chose, c'est ce qu'il me faut. J'appelle le Sage E. pour m'aider. Ca marche semble t-il. Je marche en l'écoutant et ça passe. Je suis sur la plateforme de la ligne 4 et ne reste que l'impression de vrac dans l'estomac. Je ne tremble plus et la sueur froide se résorbe. Je sais maintenant que je ne tomberais pas dans les pommes. Grand soulagement.
Je m'engouffre dans la rame. Je me sens hagard et sans force mais je tiens le coup. Une sorte de masse de fatigue me tombe dessus. Je ne ferais pas long feu ce soir, à la maison. La couette sera mon placebo. Cependant, je ne me sens pas le courage de réouvrir mon roman et savoir si le Capitaine Kennit allait survivre à cette opération. Tant pis, il peut attendre demain matin. Je ne saurais pas si ce flottement était dû à à ma lecture ou à une mauvaise plaisanterie de mon organisme.
(*) Brumes et tempêtes - Les aventuriers de la mer - Tome 4 - Robin Hobb - pp 108-110

1 commentaire:

E. a dit…

En effet, ne t'attaque pas à Patricia Cornwell ou Kathy Reichs tout de suite (encore que cette dernière ne s'interesse qu'aux squelettes, donc pas de chairs déchiquetées sous les doigts de Temperance Brennan)