10.5.07

Soirée électorale

Il est assez remarquable comment, pendant l'heure qui précède l'annonce des résultats d'une journée électorale, les journalistes réussissent à faire de l'antenne avec du vent et du vide. Comment ils réussissent à broder jusqu'à l'écoeurement sur le seul résultat qu'ils ont le droit de divulguer, l'estimation du taux de participation.
Dimanche 6 mai - 18h50 - France 2
La météo de la pauvre Nathalie Rihouet a été balancée en 30 secondes entre de larges pages de publicités de quatre minutes trente. A croire que les Français n'en ont rien à cirer des prévisions météorologiques de la semaine à venir. Ce qui les intéresse c'est plutôt les prévisions des cinq années à venir.
David Pujadas et le sourire d'Elise Lucet apparaissent sur les écrans. La grande soirée électorale est lancée. Il commence fort le david. Avec un ton de conspirateur et le sourire grave il annonce : " nous savons qui sera le futur président de la République, mais comme nous l'impose la loi française, nous ne pouvons rien dire avant la fermeture des derniers bureaux de votes; pas avant 20h00 ".
Mouais ! Quel est l'intérêt de le dire alors?! Franchement. C'est quoi ces annonces à deux balles qui ne servent à rien sauf peut-être à allécher le spectateur.
Le reste de cette heure est du même tonneau. Des reportages en direct live, dans les différents quartiers généraux des deux candidats avec commentaires pertinents et analyses de fond à toute épreuve : " comme vous pouvez le constater, beaucoup de monde dans la rue de Solferino, où chacun attend ici, la fin du suspens insoutenable" avec images fortes de jeunes gens en liesse faisant des gestes désordonnés de leur main droite tandis que leur main gauche maintient un portable collé à l'oreille. Même images mais couleurs différentes, rue d'Enghien où "il y a beaucoup de monde ici. Beaucoup attendent avec impatience 20h00 et le résultat de ce suspens intenable".
Pujadas, en fin journaliste qu'il est, remarque très finement que les supporters socialistes sont plus euphoriques (on sentait le clin d'oeil appuyé mais réprimé) que ceux, fervents admirateurs, de l'Identité Nationale. Ce que dément avec force le journaliste de la rue d'Enghien, tandis que celui de la rue de Solferino en rajoute une couche en annonçant qu'ici "on entend des sifflets dès que les images de Sarkozy apparaissent sur le grand écran où est diffusé la soirée spéciale de France 2".
De son côté, une autre journaliste, en direct du plus grand bureau de vote du 14ème arrondissement, tente d'élever le débat en faisant remarquer que les Parisiens ne se sont pas déplacés en masse entre 14h34 et 17h58 mais que depuis, ça va mieux.
Pujadas rebondit avec des tableaux comparatifs sur tout et n'importe quoi : les taux d'abstention depuis le début de la Vème République, les estimations des reports de voix des candidats vaincus au premiers tours, la couleur du cheval blanc d'Henri IV et bien sûr qu'est ce que va dire le ou la vainqueur de cette journée d'élection. Le tout commenté par deux spécialistes qui sous des airs pompeux et gaves ne font que reprendre les chiffres du tableau : " et oui, il semblerait que le cheval d'Henri IV était blanc à 56% mais il y a une zone d'incertitude tout de même par rapport à 2002..."
19h45. Un compte à rebours vient de s'afficher en haut à gauche de l'écran, tandis qu'un drapeau tricolore masque une photographie du palais de l'Elysée. On aurait presque l'impression d'entendre la petite musique énervante du décompte des secondes. Une mise en scène à la "24 heures chrono", mais sans Jack Bauer qui est aux abonnés absents pour sauver nos pauvres vies du désastre imminent qui nous menace tous. Dans moins de quinze minutes, nous saurons qui se cachait derrière les trois couleurs de la République.
Et ça cause et ça glose et ça s'écoute parler vainement. Les premiers invités arrivent, le sourire posé et figé de rigueur. Dans moins de 30 secondes, nous nous enfouissons encore plus dans l'opposition.
Ennuyeux ce vide abyssal. Pourquoi gâcher autant avec tellement de rien, de non dit, de mot sans sens. J'aurais pu changer de chaîne mais j'aurais eu les mêmes propos vides sur la sarkozienne TF1 (mais avec plus de moyens) ou sur la régionale France 3 (mais avec moins de moyens). Et comme il n'était pas question que je regarde l'abêtissante M6, il a bien fallu attendre les vingt coups du glas sur cette chaîne là.
Pourquoi France 2 joue t-elle sur les mêmes plates-bandes que sa concurrente privée? Pourquoi jouer ce faux suspens échevelé qui sonne tellement creux? Est-ce qu'une soirée électorale se construit sur le même canevas qu'un épisode d'une pauvre série française? Le but d'une soirée de cette envergure là pour une chaîne publique est-il l'analyse où l'obtention de la plus grosse part d'audience?
Tout ça, en plus, pour constater que nous n'avions plus que nos yeux pour pleurer sur notre désillusion partisane. Franchement, si cela était à refaire, j'aurais préféré aller au cinéma. Quitte à payer pour être déçu, au moins, j'aurais su pourquoi je perdais mon temps.

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