19.10.07

Mouvement social

Jusqu'à présent, j'avais assez bien réussi à échapper aux inconvénients des grèves de la RATP grâce à un jour de repos, des vacances, un RTT salvateur. J'ai même échappé au jeudi noir du 18 octobre, bien au chaud dans ma maison douillette. Avec une pointe de cynisme moqueur, je pouvais même lâcher un "les pauvres" en voyants les images aux informations télévisées, le soir.
Hier soir, je riais un peu moins fort lorsque j'ai entendu que le mouvement de grève semblait parti pour continuer aussi le vendredi. Et ça, ça ne me convenait pas du tout : je travaillais, moi le vendredi.
Le réveil fut calé sur 6h30 pour que Sage E. puisse rejoindre en heure et en temps et en Vélib, un collègue qui l'emmenait travailler dans sa lointaine banlieue. De mon côté, je blêmissais de plus en plus en regardant, tous les quart d'heure, les prévisions de la RATP. Ça ne s'annonçait pas forcément sous de très bon auspices. La foule, la presse; la foule pressée, la foule compressée; la chaleur; les grognements et la mauvaise humeur des usagers; pas de rame du tout... Vraiment, je ne la sentais pas bien cette journée qui commençait.
Prévoyant, je me suis fixé de partir deux heures avant mon début de vacation pour un trajet qui en temps ordinaire se fait en 45 à 50 minutes. A 7h55, me voici fin prêt dans l'antre du métro. Ligne 11 : ça va, le trafic est fluide, j'ai même pu m'asseoir pendant tout le trajet. Je commençais à espérer que j'avais stressé pour rien (encore une fois).
Ligne 4 : c'est dense; il y a du monde et il faut jouer des coudes pour pouvoir s'imposer dans un petit espace. Mais ça reste correct, à peine plus chargé que la veille de certain week-end prolongé.
Ligne 12 : c'est la misère. Il n'est pas possible d'approcher le quai tellement il y a de monde. J'ai juste le temps d'apercevoir que la prochaine rame est annoncée dans 30 minutes (et encore cette information clignote, signe qu'elle n'est pas très fiable). Quand je vois le nombre de personnes qui vont chercher à se tasser dans cette rame là, je me dis que j'ai au moins deux voir trois rames à attendre avant de pouvoir espérer monter dedans.
Ni une ni deux, je me précipite à l'extérieur dans l'espoir de pouvoir trouver un bus qui puisse me rapprocher du travail. Il me reste à peu près 4 kilomètres à faire tout de même. Mais je ne suis pas très fort en bus et je n'arrive pas à en trouver un seul. Ou plutôt si : la ligne 39 mais je n'arrive pas à trouver un arrêt qui va dans le sens que je voudrais ! Maudit idiot que je suis des fois moi... Au bout de 10 minutes, j'abandonne vaincu par ma stupidité. Il va falloir que je me tape ces quatre kilomètres à pieds. Je fulmine. Il est 9h05 et j'estime mon temps de trajet à une heure ! Je vais être en retard. C'est vraiment pas juste ça ! Et bien sûr, pour bien commencer, j'emprunte la rue Pasteur dans le sens inverse de celui que je devrais prendre. 10 minutes de perdues ! Ça tombait bien, je ne savais pas quoi faire...
Lorsque je suis lancé sur la bonne trajectoire, je ne lâche plus le cap ! C'est rue de Vaugirard jusqu'à la rue Desnouettes puis la rue de la Porte d'Issy, la rue Jeanne d'Arc et la rue du Général Eboué. Je galope, imperméable aux gens qui se mettent en travers de mon chemin. Je slalome entre les piétons, les vélos qui roulent sur le trottoir et les rollerman qui crient poussez vous ! Autour de moi, c'est le chaos : la rue de Vaugirard est un embouteillage monstre où les chauffeurs déversent leur bile à grands coups de klaxonnes; l'intersection de Vaugirard et de Convention est un paysage de désolation avec des voitures dans tous les sens provoquant un méli-mélo indescriptible. Mais moi, je continue à avancer vaille que vaille, coûte que coûte, l'oeil rivé à mon portable pour suivre l'heure qui s'écoule. Il fait froid dehors, je le vois bien, ma respiration essoufflée provoque une petite fumée en sortant de ma bouche, mais j'ai chaud dedans. Je vais arriver au bureau fatigué, assoiffé et trempé. Et Caliméro qui me répète son pitch dans ma tête... Finalement, il 9h50, je vois la petite tourelle de la mairie d'Issy. Dans cinq minutes je serais arrivé. Et je ne serais pas en retard ! Alléluia et tout le tintouin ! Il n'empêche qu'il me reste 8h00 de travail à donner et un retour à la maison que je n'ose même pas encore imaginer.
En fait, je commence à penser que ces fameux mouvements sociaux ne sont pas forcément ces nantis qui se plaignent égoïstement en prenant en otage quelques milliers de leurs concitoyens, afin de garder leurs privilèges mais bien ces milliers de concitoyens qui doivent faire face avec les moyens du bords pour honorer leurs obligations de travail. Ce sont ces milliers de personnes qui se retrouvent compressées contre moi dans une rame de métro bondée; ce sont ces milliers de personnes qui sont obligées de prendre leur voiture et de se retrouver bloquer dans des embouteillages sans fins; ce sont ces personnes qui sortent des stations de métros et qui s'agglutinent sur un plan de Paris pour trouver par quels moyens ils vont continuer leur trajet; ce sont ces personnes qui ont marché avec moi sur des trottoirs car leurs pieds étaient les seuls moyens sûrs pour aller travailler. Ce sont ces milliers de personnes qui ont dû composer bon an mal an avec la colère d'une minorité. Les mouvements sociaux sont finalement ceux que l'ont voit dans une ville, privée de ces habitudes, et qui tente de donner le change en s'adaptant malgré le désordre, malgré l'impression de folie qui s'empare d'elle.

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