19.8.08

Etourdissement

Il y eut d'abord l'idée de s'élever. Prendre de la hauteur.
Paris, au ras du sol, devient, certain jour, insuffisante, trop étriquée par toutes ses lignes droites, ses espaces confinés, sa géométrie parfaite. Parfaitement incomplète. Regarder Paris d'en bas manque, parfois, d'horizon, à vous faire manquer d'air. Dans ces instants là, bien que la ville soit belle, on la trouve déprimante, trop grise; trop triste; trop bruyante. Le panorama qui s'offre à nous, pourtant, tout au long de l'année, de notre appartement, chaque matin, chaque jour, chaque nuit, est pourtant une bénédiction. Pourtant, voir Paris du 18ème étage, au travers des vitres légèrement teintées, donne l'impression de la voir sur un écran de télévision, de cinéma à la limite pour le côté cinémascope. Il manque quelque chose.
Depuis quelques temps, en passant près des Tuileries, je voyais le scintillement de la grande roue qui me faisait envie. Allez savoir pourquoi maintenant, alors qu'elle se dresse là tous les ans. Je ne suis pas fan du matériel de foire qui peuple les fêtes foraines. Le Sage E. me demande depuis des années à faire le grand tour de la grande roue, pour admirer Paris comme jamais à aucun autre endroit. J'ai toujours rechigné par peur. Vertige, la vitesse, l'inconnu, la fragilité apparente ou supposée de ses structures de fer.
Dimanche, passant par les bruyantes et poussiéreuses allées des Tuileries, j'observais la grande roue qui me préoccupait depuis quelques jours. Le ciel était beau. Bleu intense, zébré de gros nuages blancs, apportant une luminosité particulièrement belle. L'envie de prendre l'air, quitter la terre ferme, s'élever, voir autrement. L'envie s'est faite pressante. Le Sage E. n'a pas dû en revenir quand j'ai soumis l'idée.
Les billets en poche pour le premier ciel, nous nous sommes installés dans une nacelle. Étrange sensation d'instabilité sous les pieds lorsqu'il a fallu monter dedans. Tout aussi étrange sensation quand le vent a commencé à la secouer gentiment. L'élévation s'est faite progressivement et lentement comme pour me préparer sereinement. Au fur et à mesure que le sol s'éloignait, Paris étalait ses toits gris dans un désordre agréable. Ses monuments se détachaient loin au dessus, fiers de leur importance. D'abord, la Tour Eiffel, immanquable. Le sommet des églises pointaient rebellement leur croix. Les formes arrondies de l'opéra Garnier brillaient de tous leurs ors. Un dédale de toits et de fenêtres sous un ciel clair. Au sommet de la roue, Paris s'étalait à mes pieds.
La tête me tournait un peu, légèrement étourdi par le vertige. Légèrement étourdi mais la sensation était agréable. Le moment où nous atteignions le sommet et que déjà nous redescendions me provoquait à chaque fois une petite sensation délicieuse dans le bas ventre. Le Sage se chargeait de tourner la nacelle, lentement, pour qu'on puisse avoir une vue à 180 degrés. Les bruits de circulation, les cris de la foule nous parvenaient étouffés, comme si une balle de coton étouffait tous les sons venant du sol. Quelques pigeons, effarouchés par notre intrusion dans leur élément, virevoltaient autour de nous. Je me suis dit, à ce moment là, que je devais avoir à cet instant précis la vision quotidienne de toute la faune à plumes de la capitale. Je les enviais un peu pour cela. Pas très longtemps, non plus.
Les dix minutes de ce tour m'ont paru durer une belle éternité. J'aurais voulu que ça dure encore. Mais six euros ne dépassent pas dix minutes dans les airs. Les jambes cotonneuses, nous avons repris pied sur la terre ferme. L'impression de confinement parisienne qui m'emprisonnait depuis quelques temps (depuis notre retour de vacances quand j'y repense), avait disparu. En prenant de la hauteur, j'ai pu me réapprivoiser à la ville. Et le reste de l'après midi, à déambuler du côté des Halles, a été un beau moment de balade, comme je les aime tant, dans ma ville, à Paris.

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