8.3.05

La bataille du Champ Lalane

Je suis tombé en embuscade pendant une marche de reconnaissance. Caché derrière une butte de terre enneigée et en tenue camaléon, il m'attendait, à l'affût, bien pourvu en munitions meurtrières.
Sans le moindre soupçon, je n'ai rien vu arriver quand la première boule m'a frappé l'épaule droite. je n'ai pu que m'abriter derrière un bonhomme de neige, pauvre otage innocent de nos jeux.
Le terrain m'était assez peu favorable : légèrement en dessous de mon Sissou d'agresseur, j'avais peu de neige à ma disposition pour me défendre. Le vent lui-même était contre moi et en faveur de mon adversaire.
Une seule alternative se présentait à moi pour me sortir de cette situation critique. Une alternative dangereuse et suicidaire. Un assaut héroïque qui me verrait vainqueur ou vaincu et transformé en cible vivante à ses coups blancs et glacés. Je savais que ma seule chance de sortir indemne de cette échauffourée serait ma course pour parcourir les quelques mètres me séparant de mon agresseur.
J'optai pour une course en zigzag afin d'avoir une chance d'éviter de me faire toucher. Tel un John Wayne tentant sa derrière chance pour sauver Fort Alamo ou le roi Léonidas à la bataille des Thermopyles, je me suis élançé dans un ralenti quasi cinématographique, chancelant, glissant en hurlant comme un guerrier héroïque qui tente le tout pour le tout.
Pas une seule boule ne me toucha mais l'approche de la proéminence terreuse devenait difficile. Une boule me toucha de plein fouet à la poitrine, tandis que j'en écartai une autre de la main. Déjà une deuxième salve s'abattait sur moi, me frappant l'épaule et le cou. Cependant porté par un élan proche du patriotisme, je ne chutai pas; je m'y refusai. La gorge, brûlée par le froid glacial et l'effort de ma course, me faisait atrocement souffrir. La neige froide fondait dans mon cou et me glaçait le sang. La morçure glacée m'attaquait, fourbe, par mon pantalon trempé.
Je remarquai une petite excroissance sur le côté de la butte, suffisamment grande pour m'abriter et pour pouvoir attaquer. De plus, il y avait beaucoup de neige fraiche et vierge, idéale pour lancer mon offensive boulesque. Je plongeai donc de ce côté et préparai mes premières boules.
Les deux premières ratèrent leur but mais la troisième fit mouche et frappa mon adversaire au front. L'ayant légèrement désorienté, j'en profitai pour tirer par salve de deux et tenter de le faire reculer. Mais il était tenace, le gaillard, et sa resistance s'organisa rapidement.
Un véritable tir croisé de boules blanches obscurcit le ciel gris de cette froide journée d'hiver, touchant et tempant les deux adversaires. Il semblait bien qu'on était parti pour camper longtemps chacun sur ses positions, mais la fatigue et le froid tétanisaient de plus en plus les muscles. Chacun avait de plus en plus de mal à tenir debout sur ses jambes frigorifiées. Les tirs manquaient de plus en plus de précision et quelques innocents témoins furent victimes de ces jets ratés. Le pauvre E. fut ainsi touché en pleine oreille. Flo, malgré son statut de journaliste, fut frappée d'une boule entre les omoplates. Victimes d'une guerre joyeuse par deux grands enfants, infantilisés devant toute cette neige.
Il n'y eut pas de vainqueur ni de vaincus lors de cette mémorable bataille du Champs Lalane qui se déroula le 7 mars 2005. Pas de larmes, pas de sang. Juste des rires et des vêtements mouillés. Deux trentenaires devenus, l'espace d'une demie heure, deux gosses de quinze ans; deux adultes redevenus enfants l'espace d'un instant. Un retour vers l'enfance salvateur alors que les obligations adultes forcent à un vieillissement anticipé. Un des deux joueurs va devenir, en effet, papa d'ici huit mois. Ce n'est pas mois : E. n'attend pas encore d'enfant (problème biologique).

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