13.4.06

Hall de gare

Dimanche 9 avril - 16h25
Des jambes. Des centaines de jambes. Des milliers de jambes qui défilent inlassablement dans le hall de gare. Avec ou sans valises, elles passent et repassent en tout sens, sans temps mort. En haut. En bas. En allers et venues. Dans les escaliers. Sur les escalators. Elles montent ou descendent. Des paires de jambes en transit, seules, à deux, ou en groupes, en grappes, mais toujours anonymes. Elles marchent; elle galopent; elles courent. En avance, à la bourre, en retard.
Déambulations hypnotiques pour celui qui attend patiemment de devenir, lui aussi, une paire de jambes rejoignant son numéro de quai qui tarde à se définir. Il a le temps de voir ce qui l'attend. L'aller et venue de ces milliers de personnes alimente une certaine anxiété qui l'oblige à regarder défiler les minutes digitales de son portable. La peur de passer l'heure sans doute.
L'esprit qui part. avec celui-ci ou celui-là. Ou va t-il donc, lui, avec son petit sac? Il semble si serein et sûr de lui. Pas comme elle, qui traîne une énorme valises à roulettes couinantes et un petit marmot aux grand yeux curieux. Ressent-il la perplexité du regard de sa mère? Comment voit-il cette foule décomposée? Un grand théâtre des nouveauté? Une simple curiosité qu'il aura aussitôt oublié, assis sur son siège inconfortable; curiosité qui sera remplacée par une autre?
L'esprit divague et s'absente. Regarder sans voir autre chose que des vies imaginées d'inconnus passant fugacement dans la trajectoire de son regard.
Des annonces débitées par une voix faussement chaleureuse et rassurante. Tellement mécanique en fait, qu'elle crée plus de stress. Des oreilles qui se dressent, tentant de capter dans le brouhaha ambiant, l'information convoitée. Des têtes qui se contorsionnent pour faire coïncider l'information auditive à l'information visuelle d'un écran toujours trop haut et ridiculement petit. Un branle-bas de combat permanent. Et épuisant finalement. L'attente est trop longue. La relative sereinité du début a fait place à une certaine febrilité, accentuée par le deuxième café qu'il vient d'avaler. Il se rend compte que lui aussi a le regard qui commence à s'agiter, guettant les petites colonnes de chiffres. Mais toujours rien. Il regarde pour la vingtième fois son billet qui lui donne à nouveau les mêmes informations. Il attends avec impatience, maintenant, la voix nasillarde du haut parleur qui lui donnera le quai de la délivrance.
Son voisin de table vient de changer pour la quatrième fois. Encore vingt bonnes minutes d'attente. Une éternité. Observation du coin de l'oreille de ce nouveau quidam qui parle fort dans son portable. Mais le goût n'y est plus. Il n'a qu'une seule envie, qu'il se taise et qu'il parte. Deuxième cigarette puis troisième qu'il écrasera aussitôt allumée parce qu'enfin la voix s'est décidée à lâcher sa voie.
Départ quai numéro 5. Confirmation visuelle. Je souris. Le processus de transformation en paire de jambes errante dans le hall de gare est enclenché. Il me reste pourtant quinze minutes mais je me précipite. Je m'auto catalogue dans la catégorie "jambes pressées". Cela me fait rire de devenir un de ceux que j'observais tout à l'heure.
Peut-être même que je passe aussi dans le champs de vision d'un observateur invisible à mes yeux. Obseravteur pour qui je ne serais qu'une silhouette, une ombre, une paire de jambe anonyme. J'aime assez cette idée, étrangement. En imprimant mon image rapide sur les rétines de quelqu'un, je ne serais pas un fantôme mais une personne qu'on aura vu, même furtivement. C'est rassurant. Je me sens moins seul.

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