5.4.07

Saleté de vie

Quand le cinéma s'invite au théâtre ou vis et versa, je ne sais pas trop. C'est ce que propose actuellement Yolande Moreau au Théâtre du Rond Point. On entre dans la petite et peu confortable salle Jean Tardieu, une sorte de tableau écran de salle des fêtes occupe la scène. Cette soirée débutera par la projection du magnifique "Quand la mer monte" de la Dame Yolande et de son compère Gilles Porte. Quel plaisir de revoir ce film qui reste une aussi forte claque d'humanité soufflée sur nos têtes avec une fraîcheur bénéfique. Quelle bonheur de se laisser emporter une nouvelle fois par les élans du coeur de Dries et d'Irène sous les jupes de Totor, à travers la beauté brute des paysages du Nord Pas de Calais. Le film, largement auto-biographique, raconte la tournée d'une actrice de théâtre en Nord Pas de Calais et montre des bouts d'un spectacle qui s'appelle "Sale affaire, du sexe et du crime"; pièce qui a été créé par Yolande Moreau, dans les années 80. Cette pièce, justement, sera la deuxième partie du spectacle.
A la lecture du programme, j'avais imaginé, à la fin du générique du film, l'écran qui se levait et Yolande Moreau apparaitrait, vêtue de sa robe rayée et affublée de son masque de Comedia dell'arte, portant a bout de bras ensanglanté son petit sac noir et son poireau défraîchi. Elle serait là, toute droite, et lancerait "sale affaire, j'ai trempé dans un crime...". Ca aurait bien ça comme mise en scène. Mais non ! Il y eut 30 minutes d'entractes avant qu'elle n'entre en scène et ne déballe l'histoire de sa vie absurdement banal et vide et sa désespérante envie d'aimer. Jusqu'à la mort... Parce qu'elle les aime ses Poussins mais eux pas assez, pas comme elle souhaiterait être aimée.
Le jeu de Yolande Moreau qui doit rappeler la tradition du théâtre du Nord, est fait d'exagération, d'absurdité, mais aussi tradition du théâtre italien de la Comedia Dell'Arte qui avec le recul du port du masque réussit à faire passer dans le grivois les plus insoutenables des propos. Enfin, il y a toute la modernité du théâtre actuel, qui fait appel à la participation du public, pris à parti ou comme témoin de ce qui se passe sur scène, comme pour rappeler que l'histoire de cette pauvre femme est aussi un peu la notre; cette histoire de crime devenant anecdotique.
Assez peu de rire finalement mais plus des sourires, le propos est même plutôt âpre et parfois glauque. Parce que, tout bien compté, la vie de cette femme n'est pas drôle quelque soit la candeur, l'ingénuité et la naîveté de ses mots, de ses pensée et de ses gestes qui font sourire. Elle est capable d'avoir commis l'irréparable sans pour autant avoir eu l'impression d'avoir fait une faute; sa seule préoccupation étant de devoir justifier auprès de ses clientes la raison de ses mains souillées. Elle est avant tout humaine avec des envies et des besoins, un irresistible besoin d'amour avec son nouveau Poussin qu'elle espère être le bon, celui pour la vie, à chaque fois qu'elle en rencontre un nouveau. Ce personnage pourrait être notre voisin de métro, notre collègue de travail, voir même mon gardien au catogan que ça ne nous étonnerait pas. Cette femme veut vivre; veut exister; veux espérer et cela passe pour elle, en donnant ce qu'elle possède, son seul bien, son seul trésor, l'amour qui déborde parfois maladroitement de son coeur.
Non, ce n'est pas une pièce drôle. Non ce n'est pas une pièce des Deschiens, dans lequel on s'attend à voir Yolande Moreau. Non Yolande Moreau n'est pas seulement cette femme simplette qui accompagnait Bruno Lochet. Oui Yolande Moreau est une grande actrice souvent mal exploitée. Oui Yolande Moreau déborde d'humanité et d'humilité et réussit aussi bien à tirer des fous rires que des larmes par un simple geste, une simple intonation, une petite hésitation dans la voix, un mouvement ahuri de sa bouche ou de ses yeux.
Sale Affaire, du sexe et du crime - Yolande Moreau - Théâtre du Rond Point

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