1.10.07

Au sommet de ma forme

J'ai le vertige.
Dès que je monte sur un escabeau, une chaise peu stable, un muret étroit, j'ai les jambes qui flageolent; j'ai la vue qui se brouille et je sens le centre de gravité de mon corps irrémédiablement attiré par le vide. En soi, rien de bien handicapant : je ne monte pas sur un escabeau tous les jours non plus. Cependant, ça m'empêche tout de même de faire un certain nombre de choses qui me titillerait bien : le saut en élastique, saut en parachute, un parcours d'aventure à hauteur d'arbres, Indiana Jones... Et je vous laisse imaginer mon état quand il s'agit de monter sur une chaise pour laver les vitres de l'appartement, du haut de mon 18ème étage.

Prendre de la hauteur.

On me dit que, pour ce genre de symptômes, il faut soigner le mal par le mal. Mouais ! Je me vois bien arriver en haut d'un haut pont, harnaché de partout, et de faire une crise de nerf parce que le vertige sera plus fort que moi. N'empêche que l'idée me trottait dans la tête (au galop, au galop, 'tit trot, 'tit trot... hum !). Il me fallait juste trouver la bonne occasion. Monter sur la Tour Eiffel? Non, trop de monde (de témoins) si je devais faire pipi dans ma culotte de trouille. M'aventurer sur un pont de corde? Non, trop instable ! Rien que d'y penser je tremble. Et pourquoi pas crapahuter sur un sommet de montagne? Nous passons les vacances dans les Pyrénées ! On a décidé de randonner ! Pourquoi pas faire l'ascension d'un sommet !

Plus prêt des cieux.

C'était le dernier jour de nos vacances. Les M&M remballaient le camping car pour d'autres horizons. Une pointe de morosité de fin de vacances obscurcissait le ciel bleu de cette belle journée. Pour ne pas sombrer dans une langueur monotone, il a bien fallu se bouger le train et décider de partir en randonnée. Et pour finir en beauté, nous avons choisi d'atteindre le Soum de Matte. C'était notre apothéose; notre record. 2377 mètres. La montée vers le pic rocheux s'élançant dans le ciel bleu à peine voilé fut longue et périlleuse; peuplée d'animaux sauvages allant de la fourmi rouge féroce, en passant par le petit scarabée noir luisant et la sauterelle verte aux ailes rouges (pas très seyant tout ça), en passant par le mouton sauvage marron des Pyrénées aux cornes à faire pâlir d'envie le plus cocu des maris, et par l'aigle si élégant et le vautour si flippant. Mais que le panorama était beau avec ces pâturages jaune paille, couverts de bruyères, et constellés de petits crocus; seuls entourés par la majesté des monts des Pyrénées. Le sentier devint plus escarpé au fur et à mesure que le sommet approchait, et, bientôt, ce petit chemin devint qu'une sente de terre instable et tortueuse entre la paroi rocheuse et le vide de l'autre côté. Seuls les moutons posaient leurs sabots ici. L'appréhension devenait de plus en plus forte à l'approche du sommet. On n'avait pas tout de même fait tout ce chemin pour faire demi tour sans avoir affronter ce petit pic là. Non ! Pas question. Je me suis aventuré sur ce petit chemin qui serpentait entre les rochers. Chacun de mes pas déclenchait une petite avalanche; de la terre meuble et de petites pierres se dérobaient sous mes grosses chaussures. A ce niveau là, la végétation était réduite à peau de chagrin, quelques éraflures de mousses et de lichens fleuris sur un gazon ras et jaune, au milieu d'un paysage lunaire fait de cailloux dressés en pointes inquiétantes. Mes jambes devenaient de plus en plus chancelantes; je n'avançais plus qu'à petits pas de souris et quasiment à quatre pattes, mes mains s'agrippant à tout ce qu'elles pouvaient pour se donner l'illusion de stabilité. Et puis, soudain, je me suis retrouvé sur une sorte de petite surface plane. Quelques grappes de bruyères fleurissaient tranquillement, un crocus se trouvait ballotté par de petites rafales de vent; au dessus de moi, de gros nuages blancs défilaient sans se presser, tandis qu'un vautour se laissait porter par un courant d'air, attendant peut-être avec impatience un signe de faiblesse pour me dévorer tout cru. Je me suis redressé. J'étais au sommet. Autour de moi, le silence, à peine perturbé par le sifflement du vent. Un simple mur de roche arrivait à hauteur de la taille, le reste n'était que vide, excepté un autre chemin qui partait vers un sommet encore plus élevé. Je tremblais, mes jambes me portaient à peine. Ma respiration s'accélérait et je devais prendre de grandes inspirations pour essayer de me contrôler. J'avais réussi à grimper là. J'étais fier de moi. Pas rassuré pour deux sous, mais extrêmement fier de moi. Comme un gamin qui vient de réaliser un exploit, j'ai hurlé ma joie à la face des montagnes qui m'entouraient comme pour leur dire qu'un jour je les vaincrais aussi. L'Arbizon voisin me semblait d'un coup beaucoup moins effrayant que lorsque je le voyais de plus bas. Le syndrome DiCaprio-i-am-the-king-of-the-world m'a frappé de plein fouet en un long cri de décompression. Le vautour s'en est allé ailleurs voir si une autre carcasse serait disponible plus vite. J'ai mitraillé avec mon appareil photo, témoin de mon exploit, ma performance incroyable et je suis redescendu, fou de joie.
La chute.
Ce n'est qu'une fois arrivé au pied du piton rocheux que j'ai pris la pleine mesure de ce que je venais de faire. Et je me suis retrouvé comme paralysé. Les jambes refusaient de me porter plus loin. La peur après coup. Et puis je me suis retourné vers le Soum et je lui ai tiré la langue comme pour lui dire même plus tu me fais peur. Un nuage est passé à ce moment là et a couvert d'ombre le petit sommet. Ça m'a donné l'impression qu'il me faisait un clin d'oeil complice. J'ai respiré un bon coup, le plus dur restait à venir : les valises, le ménage de l'appartement, le voyage de retour, la reprise du travail. Le vertige qui s'est emparé de moi n'était plus dû à la hauteur mais à la rapidité de ces deux semaines de vacances qui s'achevaient déjà.



Soum de Matte (Domaine de St Lary) - Hautes Pyrénées - 21/09/2007

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