6.5.08

Un monde merveilleux

Il y a des gens qui vivent dans un monde formidable. Complètement déconnectés des réalités (parfois certes) contraignantes du quotidien, ils font des yeux ronds quand un événement vient bouleverser leurs visions idylliques du monde. J'en ai pourtant connu des gens qui planaient dans des sphères merveilleuses. Des personnes qui découvraient avec horreur qu'on retenait des charges sur leurs salaires. Des personnes pour qui la générosité d'autrui était devenue une normalité et qui ne disaient plus merci. J'en ai connu des gens qui vivaient bien au chaud et à l'abri, dans leur bulle opaque mais toujours rose. J'en ai connu... Mais dimanche soir, je crois que j'ai rencontré le roi.
La soirée a été particulièrement difficile. Retour des vacanciers de la troisième zone et retour du grand week-end du 1er mai. Beaucoup de monde sur les routes de France. Beaucoup de voitures qui n'ont pas tenu le choc des premières chaleurs de l'année. Beaucoup d'appels pour demander une assistance. Dimanche soir, au travail, nous n'avons pas chômé. Il était 21h15. Il me restait 45 minutes avant de rentrer à la maison. J'étais complètement lessivé. Je prenais mon énième appel. Jusqu'à présent, même si les gens étaient stressés, les communications restaient courtoises et civilisées. J'ai même eu le droit à un "vous êtes un amour" de la part d'une dame soulagée que je prenne en main son problème de voiture. Mais cet appel là, était celui de trop. A ses premiers mots, j'ai senti sa condescendance. Cela ne me gène pas plus que cela si ça reste dans les limites du raisonnable. Mais lui, il en tenait une bonne couche. J'ai donc ouvert son dossier. Il était en panne dans une rue de Neuilly sur Seine. Je lui explique ce qui va se passer, que je lui envoie un dépanneur et que si sa voiture était immobilisée, un taxi le ramènerait à son domicile parisien, mais pour cela il fallait qu'il me rappelle quand le dépanneur aurait fait son diagnostique. C'est là que tout à vraiment chaviré.
Il ne comprenait pas pourquoi le dépanneur ne pouvait pas réparer sa voiture sur place. Je lui explique donc que le dépanneur ne peut faire que des réparations basiques mais qu'il ne peut pas tout avoir dans son camion. Il me demande alors qu'on lui envoie un dépanneur qui a tout ce qu'il faut dans son camion. Je lui dis que c'est impossible, surtout un dimanche soir. Il est abasourdi par ma réponse. Comment, me dit-il, peut on de nos jours ne pas trouver un dépanneur qui puisse réparer une voiture un dimanche. A quoi ça sert d'envoyer un dépanneur qui n'est pas capable de réparer une voiture. Toujours courtoisement, je lui explique que le week-end aucun garage n'est ouvert pour réparer les voitures et que ce que nous faisons, à l'assistance, c'est simplement du remorquage de véhicule. Il ne comprend pas. Il n'en revient pas. Il insiste lourdement pour que sa voiture soit réparer immédiatement. Je lui dis que ça ne sera pas possible. J'ai de moins en moins de patience. Ça fait 10 minutes que je suis en ligne avec lui, et la communication tourne en rond. Mais il ne lâche pas l'affaire. Il me dit avec la plus grande flegme morveuse, dans ce cas, débrouillez vous de me trouver un garage qui répare ma voiture ce soir. Je ris de son ton impérieux. Il le prend mal. Je lui demande si lui travaille ce dimanche. Bien sur que non, je suis banquier moi monsieur. Je lui dis qu'il peut s'estimer heureux que des personnes travaillent même un dimanche pour répondre à ses problèmes de voiture mais qu'il est impossible de demander la lune. Il me dit de but en blanc, qu'il faut que je trouve une solution à son problème de voiture, qu'après tout il me paye pour ça. Avec une voix de plus en plus énerve et caustique, je lui réponds que je vais donc faire ce pour quoi il paye son assureur et selon les clauses de son contrat, je lui envoie un dépanneur, qu'il va prendre son véhicule et le mettre dans son dépôt et que la voiture ne sera réparée que le lundi matin. Et que c'est cela qu'il paye et pas autre chose. Je ne le laisse plus parler. Je n'ai plus envie d'être courtois avec lui. Il s'est emporté, bien entendu, c'était à prévoir. Il me somme (ce sont ses termes) de lui trouver un garage Renault, à côté de chez lui, qui fasse les réparations dans la nuit, pour qu'il puissent récupérer sa voiture demain matin et qu'il puissent honorer ses rendez-vous importants, parce que lui, il avait des choses importantes à faire par rapport à ma misérable condition d'esclave moderne. Je lui demande de me trouver le garage qui peut répondre à sa demande et je lui envoie sa voiture avec le plus grand plaisir. J'avoue que je me fous carrément de sa gueule à ce moment là. Toujours avec sa condescendance, il me répond : "chacun sa place, jeune homme, vous dans le cambouis et moi dans mes affaires. N'oubliez pas qui est le client". Il veut du rapport service client. Il va être servi. Je lui annonce que j'envoie le dépanneur dans les conditions contractuelles et que c'est comme ça et pas autrement. Je sens un blanc à l'autre bout de la ligne. Je crois que je l'ai choqué. Il me dit alors avec cette énervante condescendance : Bien ! Faites ce que vous avez à faire, vous devez savoir ce que vous avez à faire, je suppose.
Avant de raccrocher, je sais que c'était purement gratuit et complètement vain, mais je lui ai demandé s'il y avait encore de la place dans son monde merveilleux où le mot impossible n'existe pas, parce que je serais diablement intéressé pour voir à quoi ça ressemble ce monde là. Pas pour y vivre, que je préfère largement le monde dans lequel j'évolue, avec ses aléas et ses petites tracasseries, mais juste pour voir, me faire une idée. Il n'a pas répondu et a raccroché.
Je lui ai envoyé le dépanneur qui serait sur place dans 45 minutes. J'ai pris un malin plaisir à le rappeler pour lui annoncer ce délai. Il a tiqué : comment? Mais comment est ce possible? Mais d'où vient-il? Je lui ai expliqué qu'il n'est pas le seul à être en panne ce soir et que le dépanneur avait du travail sur les bras, bien qu'il ne soit pas capable de réparer les voitures. Il m'a finalement remercié et du bout des lèvres, il s'est excusé d'avoir été un peu dur, mais que ce système le dépassait complètement. Du bout des lèvres, certes, mais il s'est excusé.
Il n'empêche que je suis rentré à la maison tout énervé.

1 commentaire:

Nonoparis a dit…

Eh bien dit moi, félicitation...garder son sang froid devant autant de méchanceté, et traiter les gens de cette façon...
Bravo...
Bizzz