11.6.08

Un conte de Noël

Elle est malade, soudainement. Sa seule chance de ne pas mourir est de trouver, dans sa descendance, un donneur de moelle compatible. La maladie est le point de départ d'une course contre la montre mais aussi l'occasion de reformer une famille effilochée et désunie, le soir de Noël.
C'est un conte de Noël étrange que nous offre Desplechin. Cruel. Acide. Sadique même parfois. Cette famille, tel un chêne centenaire, est pourrie de l'intérieur. La maladie, la folie, la dépression, la jalousie, la perfidie sont autant de parasites qui gangrènent chacun des membres de cette famille terrible qu'ils soient membres à part entière ou membres cooptés. Il semblerait que le mal touche dès qu'on s'approche de trop prêt d'eux.
Catherine Deneuve habite une matrone au caractère bien trempé. Elle déteste ses enfants, son fils aîné surtout, comme elle détesterait le fromage. C'est physique, sans explication logique. C'est comme ça. Elle est encore une fois éblouissante dans ce rôle acariâtre et irascible, au tempérament changeant et aux mots secs comme des coups de triques. La voilà enfin, et de nouveau, dans un rôle qui met en valeur son talent.
Autour d'elle, une ribambelle de bons acteurs : Chiara Mastroianni, toujours aussi émouvante; Melvil Poupaud, toujours aussi craquant; Anne Consigny, toujours aussi pleurnicheuse; Mathieu Amalric, toujours... toujours aussi Mathieu Amalric. Emmanuelle Devos est aussi de la partie dans un rôle cynique qui ne lui va pas forcément bien au teint, mais qui apporte, en même temps, une vision décalée et extérieur intéressant sur cette famille de frappadingue.
C'est une première pour moi. C'est la première fois que je vois un film d'Arnaud Desplechin. C'est déroutant; c'est indéniable. La mise en scène est surprenante avec des effets étonnants mais efficaces (la scène du rendez vous médical, par exemple). Les premières minutes ont été, pour le non initié que j'étais, dubitatives. Et puis, la forme tapageuse de la réalisation s'éclipse pour laisser libre court à l'histoire. Une histoire de groupe. Un film chorale mais à des années lumières des poncifs du genre souvent aussi naturel que Carla Bruni avec un certain président de la république (je veux citer les films comme Le Héros de Famille, Selon Charlie, Paris). Cette fois, l'ensemble des personnages joue son rôle et apporte sa pierre à la tragédie qui se déroule sous nos yeux. Pas chacun pour soi dans un canevas plus global. Les rapports sont complexes, les liens sont clairement (et peut-être trop) définis. Nous avons l'impression de voir une vraie famille avec ses secrets, ses éclats de voix, ses éclats de rire, ses complexités. Le couple Deneuve/Roussillon pourra autant qu'il paraisse improbable sur le papier est une vraie réussite à l'écran : l'amour, l'amitié, la complicité, la peur et la fatalité de leur couple est tout à fait bien rendu.
La maladie de Junon (Deneuve) et le sacrifice qu'elle doit imposer à un de ses parents pour qu'elle puisse (peut-être) survivre, n'est ni plus ni moins qu'un prétexte. La maladie est évoquée de façon clinique, voir mathématique; tout en pourcentage de chance, de réussite. Elle n'est pas utilisée comme ressort dramatique, tire-larme. Junon va mourir, elle le sait. Reste à savoir quand et dans combien de temps.
La réunion de famille de ce Noël là prend alors des airs de tragédie antique : le fils mal aimé et rejeté va être le seul espoir pour la survie de sa mère qu'il déteste. Il va être en mesure de prendre l'ascendant; imposer ses conditions; passer de la victime au bourreau, de l'accusé au justicier. Sous les airs légers de la préparation des fêtes de Noël, une chape d'une lourdeur et d'une noirceur absolue tombe sur la famille. Le réalisateur filme le malaise extrême de cette histoire comme s'il s'agissait d'une fin en soi irréversible. Finalement, de cette noirceur personne n'en réchappera. Que ce soit la condamnée par la maladie que les autres membres de la famille.
Un conte de Noël - Arnaud Desplechin

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