23.9.08

Le Festin - Jean Claude Brumachon

Alors que l'été tire sa révérence plutôt fraîchement, la saison culturelle 2008-2009 s'ouvre à nous. Nos agendas sont déjà bien remplis de dates, de soirées, de concerts et autres spectacles. Avant qu'ils ne se complètent au fur et à mesure de nos envies et des opportunités qui se présenteront toujours au dernier moment.
Dimanche, profitant de l'après midi plutôt agréable, nous sommes allés nous balader du côté d'Elancourt. Étrange me direz-vous. Il y a des lieux plus sympathiques en région parisienne que ce bout de banlieue noyée dans le bitume. Oui mais il y a aussi une ancienne commanderie de templiers, certes, entourée d'autoroutes. Bon, je vous le dit entre nous, nous ne nous serions jamais perdu dans ce coin là s'il n'y avait pas eu un spectacle de Jean Claude Brumachon. Vous savez, c'est le chorégraphe directeur du CCN de Nantes. Profitant des Journées du Patrimoine, l'association du Prisme avait invité le chorégraphe et sa troupe à venir présenter une de ses pièces, créée en 2005. L'idée d'allier l'événement à un programme culturel est originale et même alléchante mais, grande surprise, la représentation a lieu en plein air. En septembre, les soirées sont fraîches. On en frissonnait d'avance.
Brumachon nous convie à un festin. C'est d'ailleurs le titre de la pièce pour 18 danseurs. La scène est entourée de grandes tables avec des chaises. Ça sera là que la petite centaine de spectateurs s'installeront. A 21h00, les projecteurs se sont éteints. Un petit vent frais (à très frais) nous engourdissait un peu. Une bonne moitié des danseurs était presque nus. J'avais froid (encore plus) pour eux. Pendant 1h30, ils ont évolué au plus près de nous. Très souvent sur les tables. Nous avions presque le nez collé sur eux tellement nous étions proches. Cette proximité met au début très mal à l'aise. On entent leurs essoufflements. On a leurs corps de si près qu'on voit les bleus, vestiges de leurs répétitions, qui zèbrent leurs bras ou leurs jambes; qu'on voit la chair de poule qui hérisse leur peau. On sent leur chaleur, leur haleine, les odeurs de leurs efforts. Ils évoluent parmi nous, presque sur nous. Leur danse nous est exposée sans artifices, brutalement. Le voyeurisme, présent naturellement chez tout spectateur allant au spectacle, devient ici par moment insupportable parce que presque imposé. On nous rend complice, presque acteur de ce qui se passe sur la scène, sur les tables. L'envie de tourner la tête, détourner notre regard quand le danseur nous regarde droit dans les yeux en exécutant ses mouvements. De si près, la danse devient palpable, réellement vivante. Pourtant, le malaise du début disparaît assez vite. Sans s'en rendre vraiment compte, on s'habitue à la présence physique des danseurs. Le spectacle prend le dessus. La beauté sans fioriture des corps vous emmène dans leurs transes organiques d'une sensualité brutale. On les suit sans plus aucun à priori.
Drôle d'expérience. Elle est de celle qui transforme la qualité, sa vision de spectateur, habitué à consommer le spectacles sans se poser de question. On regarde de loin. On se dit c'est bien, c'est beau ou le contraire et bien souvent ça ne nous laisse que peu de souvenirs. Ici, cette grande proximité avec le spectacle nous oblige à voir. A voir le travail fourni sur la scène; la fatigue qui ternit les visages des danseurs, leurs efforts, leur souffrance aussi. En me regardant droit dans les yeux, ce danseur ne regardait-il pas aussi comme un spectateur mon malaise?
Le chorégraphe dit en parlant de sa pièce : "Des histoires de peaux, de vibrations sous l'épiderme, de palpitations cardiaques, de viscères exposés et de gestes abstraits. La table est servie. L'énergie des dix-huit danseurs est à consommer. La qualité du mouvement qui fuse, la respiration, le souffle... sont à savourer. Le muscle est étalé au plus près, tout prêt, comme un dîner. On est proche du dévorant et du dévoré. On touche la nourriture de l'ogre, la pitance de notre société qui engloutit tout."
Le Festin - Jean Claude Brumachon

Découvrez Jeff Buckley!

Aucun commentaire: