8.1.09

Ses malheurs de dos

Quand elle fut rendue devant chez les L'Heureux, il sortit de sa cachette, se planta au milieu du trottoir et l'observa encore plus attentivement. Une grande partie de ses malheurs, endimanchée et presque pimpante, s'éloignait vers la rue Mont-royal, inconsciente de son regard, délicieusement fragile. C'était une femme somme toute insignifiante, non, pas insignifiante mais... inoffensive vue sous cet angle : une jupe large qui se balance d'un côté et e l'autre, un tic du coude droit parce que le sac à main est achalant, le pied, plus très habitué au talon haut, qui hésite sur les craques du trottoirs... Pas de tempête, pas de hurlements, pas de menaces, pas même le soupçon d'un soupçon de tout ça... Une femme pareille à sa tante, mais moins grosse. C'est tout ! Elle ne répondit pas au salut de madame Jodoin qui balayait son bout de trottoir mais il n'y vit aucune agressivité.
Il pencha un peu la tête sur son épaule gauche et se dit qu'on devrait toujours contempler ses malheurs de dos.
Le premier quartier de la lune - Michel Tremblay

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