28.1.05

Dis, tu m'écoutes?

- Dis! Tu m'écoutes? Tu restes là, à regarder dans le vide... A croire que ce que je te raconte ne t'interesse pas...
Tu me rappelles ma grande tante Marie-Amélie... Tu sais bien, celle qui était aveugle et qui même quand elle te regardait droit dans les yeux, tu la croyais ailleurs, dans les nuages ou dans ses rêves secrets... Puisqu'elle ne parlait pas beaucoup non plus. Avec toi, c'est tout pareil, les mêmes yeux sans regard.
Tu ne sais pas la nouvelle? J'ai appris qu'ils vont fermer la petite superette d'à côté. Ils vont ouvrir quelque chose de plus grand dans la Grand Rue... Ca sera moins pratique pour ramener les bouteilles d'eau ou de lait... Il faudra que je marche plus... Oh! Ne ricane pas dans tes babines. Parfois, je t'envie de te voir toujours sur ta chaise, devant la fenêtre... Tu n'as pas la corvée des courses, comme tu n'as pas la corvée de la Poste et tout le reste... Je me fais vieux pour tout ça... Ce midi, quand je suis allé poster le courrier pour le petit Samuel qui est parti au Japon, j'ai dû attendre une demie-heure avant de pouvoir passer... Ca fait longtemps qu'on n'a plus eu de nouvelles du petit Samuel. J'espère qu'il s'est bien habitué dans sa grande ville, avec tous ses tremblements de terre et ses tiramisu et ses raz de marée... Ce n'est pas une idée d'aller vivre dans de ces endroits... Enfin, la jeunesse, ils n'ont pas froid aux yeux...

Dis? Tu m'écoutes là? Mais, fait au moins semblant de t'intéresser à ce que je te raconte... C'est vexant à la fin de parler comme à un mur... Tu ne bouges pas là, en rond sur ta chaise...
Mon pauvre vieux, tu perds de plus en plus de poils... Tu vas finir aussi chauve que moi... Pourtant, il m'avait bien dit qu'avec le traitement qu'il t'a fait, tu ne perdrais pas tes jolis poils noirs... Je te mettrais un peu de laque demain... Ils tiendront peut-être mieux... Il faudra aussi que je passe un petit coup de brosse sur tes moustaches... Les toiles d'araignée... Quelle saleté !
J'ai vu à la télévision, l'autre soir, dans un reportage, qu'on ne peut pas se débarrasser des toiles d'araignée dans une maison... Quelle misère...
Vas-y! Fait semblant de ne pas m'entendre... C'est pour ton bien que je dit ça!
Tu sais, mon beau Tino, c'est pas beau de vieillir... Tu restes le seul et l'unique, le dernier en somme... Plus personne ne vient me voir... Je n'ai plus beaucoup de connaissances dans ce monde, remarque... Je ne veux plus aller au club de bridge; c'est tellement triste sans Nénesse et P'tit Louis... C'est déprimant de s'assoir dans le même fauteuil alors qu'ils ne sont plus là avec leurs histoires... Tu te rappelles comment il t'aimait bien, P'tit Louis. Tu avais le droit à ta friandise à chaque fois qu'il venait à la maison... Même à l'hosto, il me demandait comment tu allais... Je ne lui ai jamais dis ce qui t'était arrivé... Il aurait été si triste... Et puis, je ne vois plus beaucoup la famille, quoique Noël arrive vite maintenant... Je vais devoir te cacher dans le placard... Il manquerait plus qu'il te voit! Déjà qu'ils me prennent pour un gâteux... Tu parles! Je les entends "T'as vu le vieux! il parle à son chat empaillé... C'est une cochonnerie ce truc; ça doit être pleins de microbes et ça pue, non, tu trouves pas?... Il faudrait le balancer à la benne... Et lui aussi par la même occasion... Ha ha ha!!!".
Tu parles! Parlez à son vieux compagnon empaillé... Ils ne peuvent pas comprendre, eux, que tu m'empêches de ne pas finir ma chienne de vie dans un asile... Qu'est-ce qu'ils peuvent connaître de la solitude... C'est loin pour eux, la vieillesse.
Dis, tu m'écoutes quand je te dis...

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