30.7.06

Gens bizarres et compagnie # 5

Moi, je vous le dis. Tous les cinglés de Paris se retrouvent dans le métro.
La journée fut longue et fatiguante. Après avoir quitté le travail, je n'avais qu'une seule envie, celle de me déconnecter de la réalité en me plongeant dans l'excellent et dernier roman de Fred Vargas que je viens de commencer avac un plaisir immense. Ne voir personne. N'entendre personne. Etre seul avec le commissaire Adamsberg, le flic le plus farfelu de France; planer avec lui sur des considérations aussi légères que les mouettes qui volent sur la Seine qu'il aime tant observé. Je voulais lire en paix.
Je m'installe et me tasse sur une banquette, histoire que personne ne m'embête, le livre bien calé sur mes genoux. Je mets mes oeillères magiques, j'enfonce mes boules Kies imaginaire. Je vais devenir l'espace d'une heure un autiste. La sirène annonce la fermeture des portes et le départ de la rame.
Un couple essaie de calmer deux jeunes enfants un peu excités. Les enfants crient et rient un peu mais sans plus. Ils ne sont pas génants. Pour une fois... Ils ne vont pas me gâcher mon moment de plaisir littéraire.
Une. Deux stations. Les enfants ne sont plus qu'un bruit de fond au même rang que le ronronnement du train. Toute mon attention est focalisée sur ce jeune flic, le Nouveau, qui vient de débouler dans la briguade criminelle et qui rend fou de jalousie le commandant Danglard. Soudain, un cri rauque, une éructation, une sorte de râle à peine humain s'élève du fond du wagon et se répète, à n'en plus finir. Toutes les conversations se sont arrêtées comme par enchantement. Je lève le bout de mon nez du livre, me demandant bien ce qui se passait.
Je n'ai pas eu longtemps à me poser la question. Une longue et vieille bonne femme, aussi maigre que la mort, un oeil fou et l'autre vitreux, une longue balafre brune sur une joue pas nette; attifée comme une revenante, un fichu mal fichu sur des cheveux gris jaunes, une longue jupe fleurie qui descendait au ras de ses chaussures crasseuses qui ne ressemblaient plus à rien, un pull-over bleu et blanc sale déformé. Venant du fond du wagon, elle se dirigeait, telle une furie, vers le couple et les enfants en hurlant " arrête ! Arrête ! tais toi ! tais toi ! ". Les deux enfants, impressionnés, se sont réfugiés dans les bras de leur parents médusés, statufiés, la bouche ouverte, n'osant dire un mot.
Satisfaite, la vieille harpie est retournée s'asseoir au fond du wagon, en marmonnant toute seule et en poussant des grincements articulés qui semblaient être des mots, mais je n'en suis pas sûr. J'avoue que j'ai eu du mal à me reconcentrer sur ma lecture. Cette bonne femme m'avait vraiment fait une sale impression. Cependant, les gamins, dans leur petite mémoire de bambins, recommencaient à piailler joyeusement sous le regard protecteur du père.
Une. Deux stations. La vie a repris son cours dans le wagon. Mais pas pour très longtemps. Un courant d'air soulève une page de mon livre. La vieille femme a retraversé le wagon à toute allure en hurlant, comme possédée par le Malin (j'ai vraiment eu la vision de Regan, jetant sa bile maléfique), la même litanie aux enfants apeurés cette fois ci. Le père, n'étant plus sous le coup de la surprise, a commencé à vouloir s'interposer. Et dans la rapidité d'un éclair, tout a basculé. La mère venait de se prendre une gifle par la vieille folle. Elle hurlait maintenant, visiblement choquée "sorcière, sorcière". Le père avait intercepté le bras maigre de la vieille, qui avait dû essayer de toucher un des enfant, en la secouant violemment. La vieille continuait à éructer ces "tais toi ! tais toi !" tout en riant. Vision cauchemardesque qui me donne encore des frissons rien qu'en le retranscrivant ici. Le wagon était silencieux, pétrifié, en fait. Personne n'a bougé, moi le premier.
La rame est entrée dans la station Falguière. La famille est sortie précipitamment avec d'autre passagers. D'autres sont rentrés, comme si de rien était. La vieille hurlait maintenant, toujours aussi rauquement des "connards ! Connards !" en multipliant des bras d'honneur à vitesse grand V., à l'attention de la famille immobile sur le quai (la mère pleurait nerveusement, je crois bien). Le train a quitté la station Falguière. La vieille semblait devenue incontrôlable. Un vieux monsieur l'a forcé à s'assoir, en se faisant insulté copieusement. Elle s'est un peu calmée. les conversations, plus feutrées, ont commencé à se réveiller ici ou là.
La station Montparnasse est arrivée. Je suis descendu presque en courant, la tête étourdie. J'avais hâte de quitter ce cauchemar qui venait de se jouer devant moi. J'ai essayé de chasser ces images diaboliques de ma tête sans y parvenir, forcément. Je venais de m'asseoir sur un strapontin, les yeux dans le vide. La rame de la Ligne 4 est partie loin de cette folie. Un vieux bonhomme, qui ne sentait pas la rose, mal fagotté, est entré à la station suivante, accompagné par son magnifique chien, aux longs poils noirs. Ils se sont installés, vers moi. Le chien a posé sa tête sur mes cuisses, comme ça, naturellement, en me regardant doucement des ses yeux marrons. Sur le coup, j'ai trouvé cela attendrissant et je l'ai même gratifié d'une petite gratouille sur le sommet de sa tête. Cependant, le chien ne bougeait pas. Au bout d'un moment, agacé d'avoir mon espace vital entravé par ce noir canidé, j'ai repoussé le chien. Ce qui n'a pas plus au maître qui m'a insulté, m'accablant de peureux, sans coeur, sauvage et d'un gentil connard (moi aussi), pretextant que son chien n'était ni sale ni dangereux. J'ai bien essayé d'argumenter que là n'était pas le problème mais plutôt dans le fait que je n'ai pas à supporter son chien sur mes cuisses, que j'avais le droit d'avoir un minimum d'espace de tranquillité mais rien n'y a fait. J'ai préféré laisser tomber et de me forcer à me concentrer sur le roman de Fred Vargas qui avait, en l'espace d'une demie-heure, perdu de son intérêt.

2 commentaires:

Andrea a dit…

C"est sur que une historie de metro c'est souvent plus interessant que un romance ordinaire.....

Eric a dit…

pourquoi dis-tu cela?