18.2.08

Brève de métro # 9

Il y a dans les rames de métro une faune qu'il faut prendre le temps d'observer. Microcosme à l'image de notre société. Parfois drôle, parfois touchante, parfois attrayante, elle peut aussi parfois être carrément flippante.
Hier, je me rendais au travail, la mort dans l'âme à l'idée d'être enfermé dans un bureau alors que l'atmosphère appelait à la flânerie. A République, je m'apprête à prendre la ligne 8 quand une jeune femme sort de la rame en courrant, me bousculant au passage. Je me suis dit qu'elle devait être bien pressée cette personne, tout en m'engouffrant dans la rame. La voiture est presque vide et silencieuse. Je m'installe sur un strapontin. A côté de moi, une femme, le visage un peu crispé. En face d'elle, un petit vieux ratatiné sur son siège. Il me semble un peu à l'ouest, sans doute sous l'effet d'une bonne cuite mais sans plus. Les écouteurs dans mes oreilles, je me laisse porter par la musique, la tête ailleurs.
Une station, deux stations sans que rien de particulier ne se passe. Le train-train habituel. A la troisième station, un couple de jeunes touristes anglais entre dans la rame. Il est plutôt charmant et agréable à regarder; elle est mignonne et timide. Ils se sourient sans arrêt. C'est beau l'amour.
Soudain, le vieux monsieur a un sursaut. Il se redresse et dodeline. C’est certain, il est définitivement complètement saoul. Il farfouille dans son sac plastique en maugréant sourdement, le geste et l'attitude peu assurés. Il me semble de plus en plus agité. C'est le genre de personne à partir en vrille sans prévenir et qu'il vaut mieux garder à l'oeil avant qu'il ne vous tombe dessus à l'improviste. Il jette son sac par terre et se met à parler de plus en plus fort. Des mots incompréhensibles pour la plupart. Il est maintenant très agité et se penche d'avant en arrière. Il me fout un peu les jetons mais j'essaie de garder mon sang froid et surtout j'essaie de ne plus le regarder du tout pour ne pas attirer le mauvais œil sur moi. La rame est plongée dans un silence lourd comme une chappe.
Et puis, ce qui devait arriver arriva. Il a purement et simplement pété les plombs. Il s'est mis à hurler comme un aliéné. Encore une fois des choses sans cohérences mais on distinguait aisément quelques noms d'oiseaux que la décence me défend de répéter. Il est parti en total roue libre. Il hurlait et il hurlait avec de grands gestes incontrôlés avec ses bras. Je vois que tout le monde est sidéré. Le petit couple en face de moi a peur. La femme à côté de moi essaie de garder une certaine contenance mais elle n'en mène pas large non plus. Moi, je commence aussi à me laisser gagner par la panique. Le temps me semble suspendu. Le couple de touristes quitte la rame dès que le train s'est arrêté en station. Moi, je perds trop de temps à tergiverser avec moi-même, pour savoir ce que je dois faire. La rame est déjà repartie; il me faudra attendre la prochaine station.
Pendant ce temps, le vieux bonhomme ne s'est pas calmé et semble nourrir sa rage tout seul. Les insultes fusent. Il se lève et se rassoit. J'ai maintenant vraiment les pétoches. Jamais le trajet entre deux stations m'a paru si long. Le vieux a trouvé sa cible. Il s'agit de ma voisine. Elle est immobile et tendue, le regard fixé sur un point imaginaire. Il déverse sur elle un flot ininterrompu d'invectives et d'insultes, d'obscénités verbales et gestuelles.
La rame est arrivée enfin en station. Le vieux s'est mis debout et a commencé à descendre sa braguette de pantalon. S'en était trop pour moi et pour la plupart des voyageurs présents dans cette rame. La femme s'est levée, toujours très droite mais digne et nous sommes sortis sous les cris presque animaux du vieux fou. J'ai vu les passagers en attente de monter dans la rame se raviser et trouver une place dans une autre voiture. Je me suis engouffré dans une voiture voisine et j'ai pu commencer à respirer, tout en ayant les jambes en coton. Je me suis refusé à regarder ce que le fou pouvait bien faire, seul dans sa voiture. Mais à l’expression hébétée de mes nouveaux co-passagers qui regardaient dans cette direction, la situation ne devait pas s’être calmée.
Je suis enfin arrivé à Invalides. Le calvaire cauchemardesque prenait fin. Je crois bien que je n'ai jamais eu aussi peur dans le métro parisien, en pleine journée. Saoulerie ou folie, je ne sais pas trop, peut-être bien les deux d’ailleurs, quoi qu’il en soit, ce type là n’avait plus rien d’humain. Flippant, je vous dis…

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